Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog du Théâtre Universitaire Royal de Liège

Avec "Frau Storm. Ein Kammerspiel" d’Eckart Pastor, m. en sc. par Robert Germay, avec Anita Wangen et l’auteur, le TURLg renoue en 2017 avec le théâtre en allemand de ce bon vieux Théâtre des Germanistes Liégeois.

8 Février 2018 , Rédigé par Asbl Théâtre Universitaire Royal de Liège Publié dans #Ca turbine au TURLg

(Der vorliegende Text in deutscher Sprache)

En 1983, en reprenant officiellement les rênes du Théâtre Universitaire Liégeois (TULg, jouant en français) des mains de François Duysinx, 

Robert Germay, directeur du Théâtre des Germanistes Liégeois (TLG, jouant en allemand) faisait de facto fusionner les deux troupes théâtrales alors actives en parallèle à l’Université de Liège.

Le Théâtre des Germanistes resta toutefois encore très productif sous son label TLG, jusqu’à faire désormais cohabiter dans son répertoire des auteurs anglais et allemands joués en V.O., tandis que le TULg, lui, jouait aussi des pièces allemandes en traduction française.

 

Par la même occasion, le TULg allait étendre et diversifier ses points de chute en terme de tournées, en profitant désormais du carnet d’adresses internationales du TLG, dont la renommée avait déjà largement dépassé nos frontières à l’époque (Allemagne, Autriche, Pologne … Rappelons –sans modestie, mais humblement - qu’aujourd’hui, le TURLg –qui, depuis 2002, arbore un R royal !- s’est produit dans 42 pays de 4 continents !). Bref, dans les années 80 on pouvait constater un notable enrichissement mutuel des deux troupes à tous points de vue.

En 1998 toutefois, après 15 ans de fusion, - et c’est sans doute déjà une conséquence de l’évolution des études d’alors -, les Liégeois (TULg/TLG united comme on les nommait alors) allaient produire leur dernier spectacle en langue allemande : ce fut Der Turm de Peter Weiss, mis en scène par Alain Chevalier. Celui-ci avait fait lui-même ses débuts d’acteur au TLG en 1982 comme étudiant en Philologie classique (!), dans Woyzeck de Georg Büchner…avec, entre autres partenaires, Anita Wangen, une déjà ancienne actrice du TLG (nous reviendrons sur ce point par la suite). En fait, ce Woyzeck ‘nouveau’ célébrait le 20e anniversaire du TLG, dont la naissance date d’un Woyzeck 1er de 1962. (1)

 

Ce petit préambule était destiné à resituer dans les 75 ans d’histoire du TURLg la place du ‘théâtre en allemand dans le texte’. Il en appelle évidemment un second, cette fois pour situer Theodor (et Frau !) Storm dans l’histoire des études de lettres allemandes à l’ULiège.

En 1988, Eckart Pastor, Professeur au Séminaire de Littérature allemande de l’ULiège, publiait une importante monographie sur Storm (1817-1888), le fameux auteur réaliste allemand à succès : Die Sprache der Erinnerung. Zu den Novellen von Theodor Storm, Frankfurt am Main, 1988.

 

La démarche allait rapidement faire des émules parmi ses jeunes collègues (Louis Gerrekens –aujourd’hui Doyen de la Faculté de Philo-Lettres !-, Marie Mawhin, Valérie Leyh, e. a.), au point qu’on peut désormais parler d’une ‘école liégeoise’ qui a gagné ses lettres de noblesses à côté de Husum et de Heiligenstadt, les deux centres majeurs des études stormiennes.

Une preuve en est que, avec l’appui inconditionnel de la Theodor-Storm-Gesellschaft de Husum (D), notre Séminaire de Littérature allemande s’est chargé de marquer le 200e anniversaire de la naissance de l’auteur en organisant à Liège un important colloque international : « Rupture des conventions et des tabous – Theodor Storm comme indocile auteur à succès du réalisme allemand ».

Il a rassemblé du 22 au 24 novembre 2017 une pléiade d’éminents Literaturwissenschaftler spécialistes du célèbre citoyen de Husum. Les organisateurs et tous les participants se sont accordés à dire que le succès de la rencontre fut total, tant du point de vue du niveau scientifique des communications et des discussions que de l’ambiance très conviviale des journées. Les actes sont d’ores et déjà à paraître l’année prochaine à l’Erich Schmidt Verlag de Berlin : c’est un signe.

 

Il y a de ces hasards … En 2017 on se devait aussi de fêter un autre bicentenaire : celui de l’Alma Mater liégeoise elle-même ! Cette coïncidence n’est sans doute pas étrangère à l’envie irrésistible qui a poussé notre Eckart P. à quitter un moment la recherche scientifique pour s’attaquer à un autre phénomène littéraire plus proche encore de son cher Theodor : la création proprement dite, et ce dans un domaine peu pratiqué par Storm soi-même, la littérature dramatique (n’en déplaise à son Pole Poppenspäler (Paul Puppenspieler), le marionnettiste personnage central d’une nouvelle de 1874).

 (Musée à Husum (D), ville berceau de Storm)

(Musée à Husum (D), ville berceau de Storm)

 Pour sa première pièce, le dramaturge débutant allait tirer parti avec brio de sa connaissance approfondie de l’abondante correspondance

que Storm a entretenue avec sa première épouse Constanze (née Esmarch, 1828-1865),un dialogue épistolaire qui, sous l’excellence de l’écrivain idéal Storm laisse percer le ridicule du mesquin tyran domestique Theodor. Ce paradoxe stormien est au centre de la pièce, et l’humour avec lequel l’auteur le traite actualise fort heureusement le propos en l’élargissant à la condition féminine en général, une condition encore bien préoccupante aujourd’hui, hélas … Le lecteur curieux trouvera plus de détails sur la pièce en suivant ce lien du TURLg, et aussi celui de la BRF.

Mais trêve de préambules, venons-en au vif du sujet : «…le TURLg renoue avec le TLG ».

 

Désireux de présenter un jour son ‘bébé’ à un public, c’est tout naturellement que notre frais émoulu dramaturge vint frapper à la porte de Robert Germay, collègue retraité, de quelques mois son aîné, et dont, en ex-voisin de Fac, il connaissait forcément bien le travail de metteur en scène. Lui, Eckart, n’avait-il pas naguère, pour une tournée du TLG à Cracovie (PL) en 1980, remplacé un acteur parti à l’étranger (Jean-Yves Poncelet, pour ne pas le nommer) en reprenant en catastrophe son rôle de Mordax dans le fameux Scherz, Satire, Ironie und tiefere Bedeutung de Christian Dietrich Grabbe ? Et ceci, d’ailleurs, aux côtés de sa jeune épouse Françoise (née Delbouille) qui, en scène, tenait, elle, le rôle de la grand-mère (enceinte !) du Diable … Une affaire de famille, quoi !

 

Ledit collègue metteur en scène sollicité ne tarda donc pas à accepter la mission. Dans une interview exclusive, il nous a confié les raisons de son consentement, et elles sont diverses :

 

  1. le contenu même de l’œuvre qui révèle le caractère ambigu des personnages (Storm grand poète vs. Theo petit macho / Madame Storm épouse modèle vs. Constanze femme récalcitrante), et qui donne à la conversation des personnages ce ton alternant sans cesse le sérieux et l’humour ;
  2. la forme d’écriture de la pièce qui donnait l’occasion au metteur en scène de se livrer à un de ses dadas : ‘faire du théâtre dans le théâtre’, qui donne à voir aux spectateurs une pièce en train de s’écrire, de se répéter, de s’improviser, de se construire en public, bref, une pièce ‘distanciée’ (verfremdet) en quelque sorte (rappelons que RG a commis, in illo tempore, une thèse de doctorat sur le grand BB) ;
  3. enfin, le stratagème de l’auteur solliciteur, sa botte secrète, son arme de persuasion massive, (la cerise sur son gâteau ?) : pour interpréter le rôle de Constanze, le rusé compère entraînait avec lui une amie commune qu’il avait, à force d’insistance, réussi à persuader de remonter sur les planches après 35 ans d’absence, à savoir la chère Anita Wangen (voir ici plus haut).

Cet argument massue acheva de convaincre RG. De son côté, en guise de revanche (?), celui-ci insista lourdement pour que EP, lui-en-personne, accepte d’endosser sur scène à la fois son propre rôle (c’est-à-dire le personnage de l’auteur de la pièce donnant la réplique à Constanze/Anita), mais aussi celui du personnage intervenant du ‘off’, c.à.d. de l’au-delà (2), sous les augustes traits de Theodor Storm soi-même. (D’ailleurs, la confondante ressemblance physique d’Eckart et de Theo n’imposait-elle pas pour ainsi dire ce choix ?)

Et au bout du compte, dixit Germay, absolument aucun regret pour ce casting : le duo a très bien démontré sa pertinence … et qu’il en valait trois !

Surtout, aucun regret d’avoir accepté d’embarquer dans cette belle entreprise ! ! Elle aura duré de janvier 2016, début de l’écriture et bientôt des répétitions, à la Welturaufführung le 23 novembre 2017, dans le cadre du colloque Storm (voir ci-dessus).

L’événement était annoncé par une superbe affiche

réalisée par Erwin (et Frau) Kirsch, qui, déjà en 1972, avait produit l’affiche de Mockinpott de Peter Weiss, la pièce qui a marqué un tournant décisif dans l’histoire du TLG. L’ami Erwin est alors resté pendant des années le graphiste attitré et préféré du TULg/TLG united. En faisant appel à lui nous accentuions encore l’authentique look ‘TLG, le retour !’ déjà évoqué par la distribution et la langue même de la production … qui, du coup, rameuta pas mal d’ancien.ienne.s (p… d’ortaugraf inclusive !) de la grande époque à cette série de représentations liégeoises (23, 25, 26/11/17).

L’incontestable succès du spectacle ne le céda en rien à celui du colloque lui-même. Pour tout dire, il engendra quelques invitations à balader Madame Storm dans son propre pays, notamment dans quelques villes stormiennes par excellence comme Husum et Heiligenstadt, en passant par Göttingen et Krefeld.

Le tour a déjà débuté le 24 janvier dernier par Krefeld, ville natale de … Eckart Pastor (tiens donc !), où nous venons de donner une représentation au Gymnasium am Stadtpark en matinée scolaire. L’accueil y fut très chaleureux et le succès au rendez-vous, y compris dans la presse locale.

(Dans la Rheinische Post, Christine Van Delden louait la prestation dans un article au titre très pertinent : ‘Theodor Storm als Macho und Modernist’. Voir aussi des photos). Le reste de la tournée allemande est reporté à l’automne prochain, sans faute.

 

Avant cela, une autre date importante est d’ores et déjà fixée : le dimanche 4 mars 2018, à 15h00, Frau Storm. Ein Kammerspiel clôturera la semaine de RITU35 en la salle du TURLg, quai Roosevelt, 1b, à Liège. Une occasion à ne pas manquer pour les malheureux qui auraient raté les premières !

Et une surprise pour la fin : des pourparlers sont en cours pour mettre au programme de la saison prochaine un déplacement à Toulouse (F).

Pour avoir déjà présenté plusieurs de ses spectacles (3) à l’Université Toulouse-Jean Jaurès (Le Mirail), le TURLg y a gardé d’excellents contacts avec deux collègues germanistes, Hilda Inderwildi et Catherine Mazellier-Lajarrige, éditrices responsables des « nouvelles scènes – allemand » aux Presses Universitaires du Midi (PUM). Séduites par la pièce, elles ont accédé à la demande de Robert Germay de la publier, et elle figure désormais dans leur remarquable collection bilingue (4). Et revoici une affaire de famille : c’est Zoé Pastor, fille à papa, qui, a assuré avec parfaite maîtrise la traduction française pour la publication (ne venait-elle pas justement de décrocher brillamment son Master en langues et littératures germaniques ?).

 

Et nous n’en avons pas fini avec les coïncidences dans cette histoire : Eckart Pastor, pour sa part, connaissait aussi un collègue à Toulouse : Alain Cozic, le brillant chercheur français ès études stormiennes, qui avait naguère lui-même organisé un colloque sur la littérature allemande moderne à Toulouse 2 auquel participait Meister Eckart. Nous nous félicitons de l’honneur et du plaisir qu’il nous a fait en se chargeant de rédiger la préface de l’ouvrage : elle est magistrale.

 

Comme a coutume de le dire Trebor Yamreg, traduisant Henry Ford : « Se rencontrer est un début. Rester ensemble est un progrès. Travailler ensemble est un succès ».

 

A Toulouse, grâce à ce beau livre, Madame Storm a gagné une existence noir sur blanc pérenne …bilingue certes, mais muette. A Liège et à Krefeld, Frau Storm a connu sur scène, le temps des représentations, une vie en chair et en os …éphémère certes, mais parlant allemand dans le texte.

 

Espérons qu’un jour nos amis toulousains trouveront un moyen de l’inviter à revivre, l’espace d’une bonne heure, dans la ville rose … !

 

Je mets ici un point final à ce –long- compte rendu de la naissance de notre Frau Storm. Mais, selbstverständlich, sans pour autant mettre un terme à son aventure.

 

Ad multos annos ?

 

Robert GERMAY, fév.2018

 

  1. Pour être complet, rappelons que la dernière pièce jouée en allemand fut, en fait, Momo, adaptée du roman de Michaël Ende et mise en scène par David Homburg. Mais, présentée en 2003, elle fut donc ‘labellisée’ TURLg, et non TLG –ni non plus TULg, d’ailleurs !

  2. Aujourd’hui au théâtre, l’au-delà est rendu accessible par la grâce de la vidéo. Merci à Marc Delogne, du Département de ‘Commu’ de l’ULiege, qui nous a permis ainsi de faire apparaître Theodor Storm ‘en –très- grand’ (überlebensgross) sur la scène …

  3. Le Procès de Kafka en 2012, et Don Juan revient de guerre de Horváth en 2014. Déjà en 2009, le poster de notre Fin de siècle sur l’île avait reçu une mention spéciale dans une exposition organisée par l’association ‘Le théâtre s'Affiche’ de Toulouse …

  4. Frau Storm. Ein Kammerspiel / Madame Storm. Théâtre de chambre, Texte original Eckart Pastor, Traduction Zoé Pastor, PUM Université Toulouse – Jean Jaurès, (nouvelles scènes – allemand, NOUG 21), 2017, 85 p., 12 EUR.

 

 

 

   

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article